OM Olympique de Marseille

Abedi, l'autre Pelé, par Faouzi Mahjoub


Journaliste au Miroir du Football et grand spécialiste du football Africain, Faouzi Mahjoub nous a quitté en 2014, il a été celui qui nous a fait connaître le Football Africain dans le Miroir du Football à partir des années 60.
Repose en paix Faouzi, au paradis des footballeurs Africains
Abedi Ayew Pelé (Ghana), Digne de son prénom

La chasse aux enfants prodiges est, au Ghana, devenue une habitude. On s’efforce de détecter, dès leur plus jeune âge, des gaillards qui, cinq ans, dix ans plus tard, brûleront les planches, ou plus précisément …la politesse à l’adversaire. La plupart du temps, çà rate. Pour Abedi Ayew, cela ne pouvait pas rater.
Chez les Ayew, il y a beaucoup d’enfants puisqu’Abedi est le troisième d’une couvée de cinq unités. Le jeune Abedi peut s’adonner à son jeu favori sans rencontrer de résistance paternelle. Qu’il ait très rapidement laissé entrevoir avec les copains de la petite équipe des Facos, des possibilités exceptionnelles n’est pas douteux puisque, à douze ans, le principal du collège de Tamale où ses parents l’ont inscrit le dirige vers le club de la grande cité du Nord, le Real Tamale United, créé en 1976 par des admirateurs du prestigieux Real Madrid.
Abedi, dont les parents sont d’origine haoussa, est né le 5 novembre 1964 à Dom, une banlieue d’Accra où pape Ayew fait dans le négoce. Mais personne ne pouvait penser que, dix-huit ans plus tard, le chétif gamin sera coté la bagatelle de 50  000 dollars par des marchands du muscle venus du Qatar et au service du cheikh Khalid Ibn Ali, généreux mécène du club, al-Sod de Doha. Un paquet de 20 millions FCFA (à l’époque) pour obtenir le transfert d’un jeune surdoué surnommé, par les potes de jeu, «  Pelé  ». Un surnom qui, dès 1981, figurera sur le passeport d’Abedi par la volonté d’un dirigeant de la Gafa (Ghana Football Association), S.K. Mainoo.
Le Real Tamale, trop gourmand, et la Gafa, opposée au départ d’un membre du Black Star, la sélection nationale, rejettent l’offre qatari. Mais la notoriété d’Abedi, conquise, en mars 1982, sur le tartan de Tripoli et de Benghazi, à l’occasion de la phase finale de la 13è Coupe d’Afrique des nations, allait faire éclater les frontières africaines. En Libye, le surdoué n’avait que 17 ans et demi. L’âge du roi Pelé quand, en 1958, Edson Arantès do Nascimento avait édifié, au Mondial suédois, sa réputation universelle.
Dès l’été 1981, dans l’esprit de tous les Ghanéens, les sélectionneurs ne pouvaient ignorer la petite merveille de Tamale. Fred Osam-Duodu, le coach du Black Star, l’embarqua pour une expédition à Kinshasa. Entré en cours de partie, Abedi tenta et réussit des coups qui eurent raison des Léopards du Zaïre, battus (2-1). Charles Kumi Gyamfi, promu patron du Black Star après le coup d’état du capitaine Jerry Rawlings, est investi d’une mission patriotique  : conquérir la Coupe d’Afrique en terre libyenne. Il incorpore Pelé dans la sélection.
A Tripoli, C.K. Gyamfi dispose d’un effectif très riche. Il décide de ménager Abedi et ne l’utilise pas à plein temps. Mais à chaque fois qu’il est sur le terrain, l’adolescent aux frêles épaules gratifie les connaisseurs d’un véritable récital  technique : amortis en pleine course, dribbles avec changements de direction, déviations lumineuses. Un pied gauche qui caresse le cuir. De la graine d’artiste. Le Black Star est champion d’Afrique. La campagne de Libye, c’est le «  sésame, ouvre-toi  !  » pour Abedi qui n’est pas indifférent à la sollicitation du Qatar. Le veto du Real et de la Gafa l’irrite. Il concocte avec un ami une «  évasion  » et rallie Londres. Il y attend pendant des semaines. la lettre de sortie de la Gafa. Un émissaire débarque et remet le document aux Qataris. La lettre porte la signature de Zac Bentum, le président de la Gafa mais celui-ci ne l’avait jamais signée de sa propre main  !
Abedi commence à jouer avec al-Sod lorsque atterrit à Doha un dirigeant du Real Tamale. Il récupère les 50  000 dollars du transfert, en remet, plus tard 25  000 au président du Real puis le reste à la Gafa et «  oublie  » le joueur. Nadi al-Sod est un des clubs huppés du Qatar. L’équipe est dirigée par le Brésilien Pepé, l’ancien coéquipier du roi Pelé à Santos. Notre Ghanéen est logé, nourri et blanchi et reçoit 5000 dollars par mois. Celui-ci fait bien son boulot mais supporte difficilement la vie monacale à Doha. 1982 s’achève sans haut fait sportif.
L’année suivante,al-Sod joue les premiers rôles. Il remporte, en décembre 1983, aus dépens d’al-Ahli, la Coupe de la fédération (1-0). La finale est un mauvais souvenir pour Abedi qui doit quitter le terrain, le genou meurtri par un «  matraqueur  » brésilien nommé Geraldo. Janvier 1984, al-Sod retrouve al-Ahli et Pelé son bourreau. Cette fois-ci, c’est un tacle assassin. Verdict des médecins  : rupture des ligaments croisés du genou gauche. Cheikh Khalid Ibn Ali prend en charge le blessé. Il l’envoie se faire opérer à London, ville de l’Ontario au Canada. Quatre mois de soins et de rééducation.
A la mi-mai, Abedi rentre à Doha. Mais surprise  : la fédération qatari a interdit ses compétitions aux étrangers. Toutes les recrues sont renvoyées. Al-Sod refuse de régler les arriérés de salaire du Ghanéen qui reprend le chemin d’Accra. Les grands clubs du pays (Hearts of Oak, Great Olympics, Asante Kotoko) le sollicitent sans suite. C’est alors qu’un ressortissant suisse établi à Accra le convainc de rejoindre le FC Zurich.
Octobre 1984, le climat de la Suisse alémanique. Il est rude et la vie n’est pas rose pour un jeune Ghanéen qui ne parle ni l’allemand, ni le français. Abedi est placé dans une pension de famille. Il reçoit de l’argent de poche. Le coach yougoslave, Kodric, ne l’aime pas. Les dirigeants l’ignorent. Il tient deux mois et repart chez lui où l’attend sa fiancé, la belle Maha (traduisez «  antilope blanche  ». une jeune métisse libano - ghanéenne.
La période de chômage ne dure pas. Un homme d’affaires béninois ambitionne de monter une équipe capable de remporter une Coupe d’Afrique. Il décide de s’offrir des internationaux ghanéens. Abedi Pelé exige une prime à la signature de 30  000 dollars. Le contrat est signé in extremis.
Les Dragons de l’Ouémé crachent le feu en Coupe d’Afrique et accèdent aux quarts de finale. Ils se heurtent ensuite au Nadi al-Ahli du Caire. L’obstacle est infranchissable. L’aventure africaine prend fin. Abedi doit user d’un stratagème pour récupérer son passeport et rentrer à Accra où vient le récupérer, pour deux mois, le Real Tamale.
Juin 1985, le FC Nantes invite le Ghanéen et le soumet à des essais. Pelé n’est pas recalé mais il est l’étranger de trop et ne peut pas être embauché. Retour à Accra et re-départ pour la France où un impresario le dirige vers l’AS Saint - Etienne. Nouvelle désillusion. Le Black Star qui dispute les éliminatoires du Mundial 86, le récupère. Le Ghana échoue devant la Libye (0-0, 0-2). Les Chamois de Niort, un club de division II française se manifeste. L’affaire est conclue.
Conduit de pied de maître par sa perle noire, le club des Deux-Sèvres connaît une réussite phénoménale. Le président de Niort se frotte les mains  : il compte revendre cher sa recrue et veut changer les clauses de son contrat. Abedi refuse. Il est transféré, à son insu, au FC Mulhouse. En Alsace, le Ghanéen se «  promène  ». Le 23 juillet 1986, il est invité par le Bayern de Munich au jubilé de l’international allemand Dieter Hoeness. Il enchante le public bavarois qui réclame son engagement. Quatre mois plus tard, il prend la direction de la Canebière  : il est recruté par l’Olympique de Marseille (OM).
«  Il est plus fort que Maradona  !  » clame Bernard Tapie, le président de l’OM. Mais Abedi se heurte à l’hostilité de la vedette locale, Jean-Pierre Papin. La presse phocéenne appelle à son refoulement. L’entraîneur Roger Banide joue les Tartuffe et le manager, Michel Hidalgo, ne se mouille pas. Pelé soutenu par Maha qu’il a épousée, fait ses bagages. Direction Lille où il est transféré pour 4 millions FF.

Dans le Nord, Abedi donne la pleine mesure de son talent. Le public du stade Grimonprez - Jooris est à genoux. A l’intersaison 1989-90, Tapie veut le récupérer d’autant que le Ghanéen a acquis, en mars 1989, la nationalité française. Lille oppose une fin de non recevoir. A l’orée de la saison 1990-91, Tapie revient à la charge  ; Maha pousse son mari à renouer avec l’OM. Tapie met le prix et offre à «  son deuxième fils  » le meilleur contrat de sa carrière et l’installe dans une villa à Cassis.

Sur le terrain, la partie n’est gagnée d’entrée. Pour l’entraîneur Franz Beckenbauer, Pelé n’est pas un titulaire à part entière et il doit occuper le flanc gauche. Plus malin , le Belge Raymond Goethals le replace dans l’axe et lui laisse la bride sur le coup.
Mars 1991, l’OM élimine le prestigieux AC Milan de la Coupe d’Europe et accède, pour la première fois de son histoire, à la finale. Le 29 mai, à Bari, l’OM affronte l’Etoile rouge de Belgrade. Abedi Pelé est très présent dans le jeu marseillais mais son équipe ne trouve pas l’ouverture. La partie se termine sans but. L’exercice redouté des tirs au but démarre. Les Serbes se montrent les plus adroits et ils l’emportent. C’est une cruelle déception que les larmes du Franco -Ivoirien Basile Boli vont immortaliser sur le petit écran.
L’OM se reprend et il gagne le championnat 1991-92. Le revoilà qui redémarre en Coupe d’Europe. Cette fois-ci, le parcours est mené jusqu’au bout. Le 26 mai 19893, à Munich, les Marseillais se mesurent, en finale, au Milan AC. Grâce à un coup de tête de Basile Boli, servi par Abedi Pelé, le club phocéen arrache le but de la victoire et de la consécration continentale. Le Ghanéen est champion d’Europe. Mais, très vite le scandale éclate, l’OM de Bernard Tapie est convaincue de corruption d’adversaires en championnat de France. Il est destitué de son titre national et rétrogradé en division II.
Ses stars fuient le navire en perdition. Abedi Pelé rejoint l’Olympique lyonnais.
Il n’y fait pas long feu. A l’intersaison 1994, il se décide à franchir les Alpes et signe un contrat en faveur du Torino FC. L’expérience ne s’avère pas positive. La famille Ayew refait ses valises. Direction, la Bavière et le TSV Munich 1860. L’escale se prolonge jusqu’en juin 1998. Abedi a 36 ans. L’heure de la retraite approche. Il s’offre une dernière pige et retrouve le Golfe, cette fois-ci à Nadi al-Wahda, d’Abou Dhabi. Il y joue quelques mois. Auparavant, Abedi avait, le 16 février 1998, mis fin à sa carrière internationale. Après 17 ans au service du Black Star et sept participations à la Coupe d’Afrique des nations dont une seule couronnée de succès en…1982  !
Décembre 1999, Abedi Pelé découvre le silence par-delà le vacarme des ovations et des sifflets  : il vient d’en finir avec le football actif. Avec sa splendide épouse Maha et ses enfants, Dédé et Jordan, il réembarque pour le Ghana et s’installe à Accra. Maha et le beau père s’occupent des affaires de la famille et gèrent les immeubles de rapport. Abedi remet les crampons, histoire d’entretenir sa forme. Il ne veut pas rapidement tomber dans les oubliettes. Ainsi crée-t-il son propre club, le Nania FC qu’il entraîne et qu’il tire chaque année vers l’élite. Les faux rebonds et la régression du football ghanéen l’interpellent et le révoltent. Il part en guerre contre les dirigeants incompétents et combinards. Il s’offre le luxe de dire tout haut ce que le public du Ghana pense tout bas. Il gagne en popularité et se décide à briguer la direction de la Ghana Football Association (Gafa).
Lors de l’élection présidentielle de 2000, il soutient le candidat du NPP (Nouveau parti patriotique), John Aggyekum Kufuor qui promet de lui renvoyer l’ascenseur.
Kufuor succède en décembre 2000 à Jerry Rawlings. Les élections pour la Gafa pointent. Le nouveau chef d’Etat se rétracte : il prétexte la jeunesse et le manque d’expérience d’Abedi pour le dissuader de se lancer dans la conquête de la présidence de la fédération. Pelé devra se contenter d’un poste de vice-président à la Gafa. La CAF se souvient aussi de lui et le coopte ainsi que d’autres anciennes gloires africaines au sein de sa commission Football. Le Ghanéen participe à deux réunions au Caire et à Bamako puis, déçu par des promesses non tenues, il claque la porte avec son frère d’armes, Basile Boli. L’Afrique du Sud, candidate à l’organisation de la Coupe du monde 2006, le sollicite. Avec Roger Milla, il s’active pendant la campagne sud-africaine. Et lorsque le jeudi 6 juillet 2000, à Zurich, la FIFA choisit l’Allemagne, il a du mal à cacher sa déception et sa tristesse.
Au printemps 2002, Milla et Pelé se retrouvent encore dans le même camp  : celui de Joseph S. Blatter, candidat à sa propre succession à la tête de la FIFA. Entre le patron de la planète foot et le Ghanéen, le courant passe. Abedi, Milla et George Weah font partie de la commission Football de la FIFA où ils côtoient ...Pelé, Franz Beckenbauer, Bobby Charlton, Eusebio et Michel Platini. Abedi s’engage pleinement derrière Blatter et l’accompagne dans sa tournée électorale en Afrique.
«  Nous avons besoin, se justifie-t-il d’un président qui parle le langage du football. Blatter est décidé à réduire l’écart entre l’Afrique et le reste du monde. Je le soutiens non pour de l’argent mais parce qu’il a une grande vision de notre sport.  » Le Suisse sera réélu haut la main et Abedi Pelé suivra le Mondial Corée - Japon en qualité de membre du groupe d’étude technique de la FIFA.
Le 12 mars 2003, Abedi, devenu entre temps vice-président de l’UFOA (Union des fédérations ouest -africaines), est à Johannesburg aux côtés du Botswanais Ismaïl Bhamjee qui annonce sa candidature à la présidence de la CAF. Tout comme, il remet celà avec ses amis sud-africains et s’associe à leur campagne de promotion pour l’organisation de la Coupe du monde 2010. Le 30 septembre, au quartier général de la FIFA, à Zurich, il fait partie de la délégation officielle qui présente le dossier sud-africain. «  J’ai, s’adresse-t-il en ...français au président Blatter, joué dans beaucoup de clubs européens. J’ai remporté la Coupe d’Europe avec l’Olympique de Marseille. Mais je n’ai jamais disputé la phase finale du Mondial. Nous autres Africains, nous avons beaucoup offert et offrons encore le meilleur de nous-mêmes au football européen. Notre rêve est d’accueillir la Coupe du monde sur continent. Monsieur le Président, faites en sorte qu’il se réalise vous qui, à travers le programme Goal, avez déjà fait énormément pour le football africain.  »
Les activités politico - sportives de l’ambassadeur de South Africa 2010 ne s’arrêtent pas là. La Gafa dépose sa candidature pour un poste de membre au Comité exécutif de la CAF. Après l’Algérien Rachid Mekhloufi en 2000, Abedi Pelé est le deuxième grand footballeur à se lancer dans la bataille électorale.
Il affronte le Nigérian Amos Adamu. Un challenge difficile d’autant que l’establishment ne le soutient pas. Le Ghanéen échoue comme échouera en janvier 2006, Salif Keita.
Abédi pourra ensuite s’envoler pour Marseille où ses deux fils, André (18 ans) et Jordan (15 ans) ont étudié avant de porter les couleurs de…l’OM.

Faouzi Mahjoub