INTERVIEW RAYMOND KOPA – 22 juillet 2010 –
Raymond, à Reims, Madrid, ou en équipe de France, vous avez incarné « le beau jeu » : pourriez-vous le définir ?
D’abord, il faut des joueurs de valeur, dotés de quatre qualités :
l’intelligence du jeu, la précision technique, des qualités physiques et
morales. Et le football est un jeu collectif : j’ai eu la chance
d’avoir dans ces équipes de grands partenaires. C’est un ensemble : il
fallait que mes coéquipiers « vivent le jeu » avec moi ; avec Justo
Fontaine, c’était une entente parfaite ; nous avions besoin l’un de
l’autre. On m’a souvent reproché de trop garder le ballon, mais c’était
pour créer des occasions de buts.
Quel regard portez-vous sur le Mondial 2010 ?
Eh bien, le beau jeu, c’est ce qui a manqué ! (rire)
C’est bien que l’Espagne ait gagné, non ?
Ouais… je ne suis pas contre, mais elle a gagné petitement, en marquant 7
buts seulement. Ses joueurs ont la valeur technique, mais la finition a
été moyenne. J’ai été content quand l’Allemagne a battu l’Argentine,
qu’on avait surestimée. C’est bien ce qu’ils ont fait, mais ce n’est pas
une super-équipe, peut-être une bonne équipe à venir. Ils n’ont pas
joué que de bons matches.
Passons à l’équipe de France : qu’avez-vous pensé de ce qui s’est passé ?
J’ai pensé comme tout le monde : on n’a rien vu question football, et
puis leur comportement ! Les journaux en ont profité, et mis des gros
titres en « une », pour vendre du papier.
J’espère qu’on laissera suffisamment de temps à Laurent Blanc pour
constituer un ensemble meilleur qu’au Mondial, sans lui demander des
résultats immédiats. Car vous savez, en 1958 on était une génération de
très bon niveau, et il a fallu attendre 20 ans pour en retrouver une
autre [celle de Platini –NDLR].
Un autre élément nous inquiète : les propos de dirigeants de
clubs professionnels, qui veulent prendre le pouvoir dans la 3F au
détriment du football amateur…
Non, je ne m’inquiète pas trop… Il doit y avoir communion entre les
amateurs et les pros : on vient tous des rangs amateurs. C’est le
réservoir pour trouver les bons joueurs.
Vous dites dans votre livre que vous aviez « l’esprit syndicaliste »…
Si vous voulez, j’ai une nature « syndicaliste ». Quand on me met en
évidence, je dis toujours que j’ai eu la chance d’avoir avec moi des
ensembles de grande qualité ; alors j’ai cherché à défendre mon
entourage. Je l’ai fait dans l’intérêt général, je ne pouvais admettre
que les dirigeants de l’époque puissent vous vendre sans votre avis.
Vous voulez parler du fameux article de 1963 « Les joueurs sont des esclaves » ?
Oui. Au Réal de Madrid, j’avais pu négocier un contrat de 3 ans, mais
c’était une exception. Après cet article, beaucoup de dirigeants
n’étaient pas contents, une bonne partie de la presse était contre moi,
mais j’avais raison…
Avec « l’arrêt Bosman » de 1995 [dérégulation totale des
transferts par la Cour de justice européenne – NDLR], n’a-t-on pas tordu
le bâton dans l’autre sens ?
Oui, il ne faut pas tomber dans l’excès inverse. Je suis d’accord pour
qu’un joueur gagne bien sa vie, car une carrière sportive est courte. Il
y a quand même une démesure dans les salaires. Et puis quand je suis
parti au Real, en gagnant certes dix fois plus qu’en France, c’était
pour jouer dans la meilleure équipe du monde ! C’était d’abord un
objectif sportif, ce qui n’est pas le cas de nombreux joueurs
aujourd’hui. J’y suis allé pour me faire plaisir, et faire plaisir aux
spectateurs, qui nous payaient par leur billet ; ce n’était pas la
télévision et la publicité.
Propos recueillis par Loïc Bervas
|