Joseph-Antoine Bell, Un gardien d’idéal par Faouzi Mahjoub


Journaliste au Miroir du Football et grand spécialiste du football Africain, Faouzi Mahjoub nous a quitté en 2014, il a été celui qui nous a fait connaître le Football Africain dans le Miroir du Football à partir des années 60.

Repose en paix Faouzi, au paradis des footballeurs Africains
Il fait chaud, très chaud à Douala la frondeuse dont les chaussées, de partout défoncées, supportent mal une circulation intense et pagailleuse. Dans les débits de boisson, autour de canettes de bière alignées comme pour un défilé, la conversation est animée. « Il est arrivé ! Il sera là cet après-midi aux cotés de George Weah et de Japhet N’Doram ! Jojo aura un fameux jubilé ! »
« Il », c’est Pelé. Abedi de son prénom, le meilleur footballeur africain des années 1989-1994. Ce vendredi, 23 décembre 1994, Douala offrait à « son » Joseph -Antoine Bell, un jubilé exceptionnel. Et pour l’événement, « Jojo » s’était promis de réunir les étoiles expatriées du football africain. Il a à moitié réussi.
Une brève incursion dans le hall de l’hotel Sawa suffit pour se convaincre de la richesse modérée du « plateau ». Bernard Lama, le gardien de but du Paris Saint-Germain et de l’équipe de France, plus souriant que jamais, distribue les autographes quant il ne s’écroule sous les mêlées que son passage provoque, Japhet N’Doram, le maître à jouer du FC Nantes promène timidité et modestie, Eugène Ekéké, le buteur du Mondiale 90 à Naples est tout sourire, Adjovi Bocco et sa belle crinière de rasta, Luc Sonor l’ambassadeur de l’AS Monaco, Bruno Ngotty la tour de défense de l’Olympique de Lyon, Patrick Mboma et Pascal Nouma les « jumeaux » réservistes de Paris Saint-Germain, James Debbah, le Liberien de Lyon et Chantreuil, l’ami du FC Martigues. Et bien sûr, Abedi Pelé. Une star traînant la patte et hors d’état de taper dans le balle tout comme son coéquipier de Turin, l’antillais Cyprien et international. Point de George Weah, le goleador du Paris Saint-Germain, ni de Titi Camara le dribbleur guinéen de Saint-Etienne.

Point de Ruud Gullit, la star hollandaise, ni de « Black » Basile Boli, l’ex-pilier défensif de l’Olympique de Marseille.
Bell avait, pourtant lancé les invitations et il aurait aimé tant accueillir tous les as du ballon black. Mais les promesses n’empêchèrent pas les forfaits. Regrettable l’absence de George Weah comme celle de représentants du Nigeria et de l’Afrique du Nord notamment de l’Egypte où « Jojo » avait porté, pendant trois ans, les couleurs d’Arab Contractors du Caire. Regrettable aussi le manque de fair-play des autorités camerounaises qui autorisèrent la fête mais la boudèrent.
Laminé par la pluie et endurci par le soleil, le terrain hérissé de touffes d’herbe du stade de la Réunification de Douala aurait été jugé impraticable, ce 23 décembre 1994 par l’arbitre de n’importe quelle rencontre de haut niveau international. Mais Bell ne pouvait pas offrir mieux à ses invités. Et sur un terrain dur et bosselé où les articulations des chevilles et des souffrent le martyr, quelques-uns des meilleurs professionnels africains de France tentèrent de montrer, face à la jeune sélection du Cameroun et aux 40 000 supporters passionnés de « Jojo » leur savoir-faire.
Ils réussirent leur pari, si l’on sent tient au score : 2-1 et, malgré les restrictions imputables à des conditions de jeu « inhabituelles « et à la non-participation de Pelé, le match et son ambiance laissèrent à leurs témoins, ou plutôt à leurs participants, l’impression d’avoir entrevu pendant plus d’une heure le paradis perdu du football.
Les pros qui avaient répondu à l’appel de leur aîné n’étaient pourtant pas venus pour faire un résultat, mais pour jouer au football, c’est-à-dire pour manifester leur joie de vivre en l’honneur d’un de ceux qui, de 1973 à 1994, l’avaient le mieux honoré. Face à l’enthousiasme juvénile des nouveaux Lions Indomptables l’équipe de « Jojo » ne pensa qu’à construire un jeu offensif de qualité, à l’image d ce véritable artiste au toucher de balle extraordinaire qu’est le Tchadien Japhet N’Doram.
La foule de Douala avait recréé pour un après-midi l’ambiance chaleureuse et authentique des grands matches de foot. Elle scanda « Jojo ! » à l’adresse de Bell avant la partie et lorsque ce dernier effectua l’ultime tour d’honneur à l’issue d’une cérémonie simple et touchante où tout ce que l’ex-gardien du Cameroun comptait d’amis dans le monde du sport vint lui rendre hommage. Dans la dignité et la fraternité. Bell, un nom qui symbolise la réussite. La réussite sportive d’abord. Extraordinaire carrière en effet que celle d’un jeune joueur d’un club de quartier de Douala qui, en vingt ans, a accumulé tous les titres de gloire dont un footballeur africain peut rêver. Champion du Cameroun et d’Afrique avec l’Union de Douala en 1978 et 1979. Champion de Cote d’Ivoire avec l’Africa Sports National. Champion d’Egypte avec Arab Contractors en 1983. Double Champion d’Afrique des nations avec les Lions indomptables du Cameroun en 1984 et 1988. Professionnel dans les rangs de trois grands clubs français : l’Olympique de Marseille, les Girondins de Bordeaux et l’AS Saint Etienne. Trois présences en phase finale de la Coupe du Monde (1982, 1990 et 1994). International camerounais de 1979 à 1994.
Quant à la réussite sociale de Bell, c’est au sens propre une ascension exemplaire. A 40 ans, il a conquis la fortune. Sans exploiter personne. En exerçant avec une conscience professionnelle irréprochable son métier de producteur de spectacles et de recettes. Champion, il a gagné l’admiration et la sympathie de toute l’Afrique du ballon. Personnalité populaire et respectée, il ne s’est jamais comporté comme un homme arrivé, indifférent devant le sort de ses frères, les footballeurs professionnels.
Parce qu’il a toujours voulu que tous les footballeurs soient considérés et traités comme des hommes. Et surtout parce qu’il leur a donné à maintes reprises l’exemple pratique de ce que doit être le comportement d’un homme, Bell a souvent figuré sur le liste noire dressée par les bien-pensants du milieu politico - sportif. Sa « mentalité » et son « honnêteté » ont été mises en cause. Mais les faits ont toujours donné raison à Jojo. « Pour tout dire, écrit son compatriote, Issa Hayatou, Bell aura tout vu et tout eu avec le football, son métier. Il aura démontré qu’un joueur de football n’est pas seulement un amuseur public mais qu’il est aussi une personnalité capable de se déterminer par rapport à son entourage. (…) On l’aime ou on ne l’aime pas, mais on ne saurait rester indifférent face à ce gardien de but au grand cœur. Qui a de la suite dans les idées et qui les exprime dans un style châtié, parfois assassin. »
Jojo a tourné le dos à la cage mais il n’a pas dit pas adieu au foot. Il s’est réinstallé à Douala. A deux reprises, il fit acte de candidature à la présidence de la Fédération camerounaise. En vain. Au Cameroun, si on le laisse toujours s’exprimer, on refuse de faire appel à ses compétences. Parce qu’il ne change pas de camp - toujours du côté des joueurs -. Et parce qu’il ne cherche pas à obtenir un maroquin, à se placer à la cour, à se rapprocher du monarque. Il reste un homme d’idéal et de conviction.

Faouzi Mahjoub